Les menaces sur la sécurité alimentaire, une régression féconde pour l’agriculture méditerranéenne ?
Tribune du Pr. Mohammed Sadiki (Président du Conseil d’Administration du CIHEAM) et de M. Plácido Plaza (Secrétaire Général du CIHEAM) à l’occasion de la publication du rapport CIHEAM «The COVID 19 Pandemic : Threats on Food Security in the Mediterranean Region ». (29/07/2020)
Les effets de la pandémie du COVID 19 sur les économies des pays de la région méditerranéenne commencent à être visibles et laissent présager des conséquences et un impact sans précédent. Comme pour chaque crise, ce sont bien entendu les populations les plus pauvres et les plus fragiles qui subissent les conséquences les plus graves.
Parmi les plus fragiles, les populations vulnérables des zones rurales et agricoles de la région méditerranéenne, qui souffrent déjà depuis des années des aléas du changement climatique, de la diminution des ressources naturelles mais également des inégalités de développement.
La pandémie a de prime abord menacé la santé des populations, puis leur emploi ou travail, le plus souvent dans l’économie informelle, et pèse aujourd’hui sur la sécurité alimentaire. En effet, les 4 piliers qui caractérisent la « sécurité alimentaire », selon la FAO, que sont la disponibilité, l’accès, l’utilisation et la stabilité des prix des produits alimentaires, ont bien été impactés, corolaire d’une instabilité de l’offre et de la demande, qui risque de s’aggraver si les bonnes décisions ne sont pas prises et les réponses appropriées ne sont pas apportées.
Il était important pour le CIHEAM, acteur de la formation, de la recherche, de la coopération agricole et du dialogue politique en Méditerranée depuis 1962, d’apporter sa contribution à la compréhension et analyse des conséquences à court et moyen termes du COVID 19 sur la sécurité alimentaire de certains de ses pays membres, afin d’anticiper les mesures à prendre par l’ensemble des acteurs et d’en atténuer les répercussions et impacts négatifs.
Le CIHEAM a donc souhaité produire un rapport, qui se veut le fruit d’un effort collectif qui a mobilisé les différents organes du Centre, à travers les quatre instituts agronomiques méditerranéens et les différents partenaires ; au premier rang desquels les délégués des Etats membres.
Cette analyse a focalisé sur un échantillon de sept pays : l’Albanie, l’Algérie, l’Egypte, le Liban, le Maroc, la Tunisie et la Turquie.
Outre les analyses comparatives avec une approche économique, et l’évaluation des menaces à venir tels que la diminution des IDE, la baisse des transferts de fonds des nationaux résidents à l’étranger, l’effondrement du tourisme, la baisse des recettes des exportations ou encore celles du prix du pétrole, le rapport a mis la lumière sur les nouvelles dynamiques créées et les solidarités mises en œuvre.
Dynamiques novatrices et solidarités à l’œuvre
En effet, dans ces pays, plusieurs initiatives en cours devraient contribuer à soutenir la production agricole et l’accessibilité alimentaire, éclairant sous un jour nouveau, le principe de « souveraineté alimentaire », tandis que d’autres ont poussé à repenser les politiques publiques rurales et agricoles pour des politiques plus stratégiques et novatrices, mobilisant les innovations techniques, sociales et institutionnelles au service d’une gestion plus durable des ressources naturelles (eau, biodiversité, sols…) et des communautés au potentiel de créativité et d’engagement qui restent encore sous-estimés.
Des aspects qui émergent moins dans le débat public, mais qui pourtant témoignent d’une compétence des pays du sud dans la gestion des crises. Les différentes expériences dans la gestion des crises liées aux épidémies, les populations jeunes ou encore la résilience face aux chocs sont parmi les atouts qui ont aidé les pays à résister durant ces derniers mois. Aussi, est-il important de tirer les enseignements de cette expérience et de savoir capitaliser et pérenniser les acquis.
Crise et opportunités pour la Méditerranée : Vers plus de coopération ?
Au CIHEAM, nous pensons que cette crise peut ouvrir la voie à coopération régionale renouvelée en renforçant les acquis et à une réflexion plus approfondie sur les nouveaux instruments à mettre en place pour lutter contre la pauvreté rurale, l’insécurité alimentaire et la gestion des ressources naturelles.
Elle nous interpelle à nouveau sur l’urgence de revoir les fondements de nos systèmes alimentaires pour qu’ils deviennent plus durables dans l’utilisation des ressources naturelles et socialement plus responsables pour que notre alimentation puisse être produite par nos régions, contribuant ainsi à la création de métiers d’avenirs, attractifs et à forte valeur ajoutée. Il ne peut y avoir de santé, sans alimentation et sans agriculture. Et aujourd'hui, plus que jamais, le concept de « One Health » prend tout son sens. En effet, la santé des humains, la santé des animaux et la santé des écosystèmes ne font qu'un !
La problématique posée dans le nouveau contexte du Covid19, nous interpelle plus que jamais au CIHEAM. Nous souhaitons jouer pleinement notre rôle de renforcement des capacités et de facilitateur des échanges dans les agricultures au sein de l’espace Méditerranéen, et continuer de promouvoir des modèles de développement durables des territoires ruraux et côtiers.
La conception et la mise en œuvre des mesures stratégiques novatrices nécessiteront un renforcement des capacités et un accompagnement renforcé des gouvernements, des organismes publics et de tous les acteurs, tant du secteur public que privé. Une fois encore, le CIHEAM fort de sa longue expérience se tient prêt à proposer et agir.
En effet, c’est avec les femmes et les hommes qui vivent autour de cette “mer au milieu des terres”, avec les scientifiques, universitaires et chercheurs/ses, avec les représentants de la société civile, les entreprises et les partenaires institutionnels que nous devons trouver et inventer de nouvelles solutions plus adaptées et pérennes. Ce travail coopératif ne saurait aboutir que si les conditions d’un dialogue constructif sont réunies, les savoirs partagés, la mobilité des connaissances encouragée et les formations adaptées, pour des réponses appropriées aux besoins des territoires et aux aspirations des méditerranéennes et méditerranéens, notamment les plus jeunes, pour un avenir meilleur et serein.
Pour plus d'informations :
CIHEAM Report on COVID-19 impacts in the Mediterranean Region